Conçue en secret dans un sous-sol du Michigan par une poignée de passionnés, elle est la preuve incarnée que le génie automobile carbure encore à l’audace et au mépris des conventions. Sa version la plus pure, la « Liquid Carbon », n’est pas seulement une voiture ; c’est une sculpture technologique à 1,5 million d’euros, une anomalie glorieuse qui a bien failli rester un simple fantasme d’ingénieur. Comment ce monstre de carbone a-t-il pu échapper à la bureaucratie pour devenir l’icône la plus désirable de sa génération ? L’histoire est aussi folle que la voiture elle-même.
Le Projet Phoenix : L’Hypercar Née dans un Sous-sol
Oubliez les studios de design immaculés et les processus de validation interminables. La genèse de la Ford GT de deuxième génération est un véritable roman d’espionnage industriel, mené à l’intérieur même de Ford. Fin 2013, alors que la stratégie « One Ford » d’Alan Mulally bat son plein et privilégie les modèles de grande diffusion, une petite équipe d’irréductibles se voit confier une mission clandestine. Le nom de code : « Project Phoenix ». L’objectif : créer en secret absolu une machine capable de retourner au Mans et d’y battre Ferrari, 50 ans après le triomphe historique de la GT40. Le projet était si confidentiel qu’une douzaine de personnes seulement, menées par le chef du développement produit Raj Nair, y avaient accès. Ils travaillaient la nuit et les week-ends dans un sous-sol anonyme du centre de développement, utilisant des clés en métal à l’ancienne plutôt que les badges électroniques standards pour ne laisser aucune trace. Cette clandestinité était leur seule chance d’éviter que le projet ne soit tué dans l’œuf par les comptables, pour qui une hypercar à faible volume était une hérésie financière.
Plus qu’une Carrosserie, une Sculpture en Carbone Liquide
Le fruit de ce complot est une merveille d’aérodynamisme et de matériaux composites. Mais Ford a poussé le vice encore plus loin en 2020 avec l’édition « Liquid Carbon ». L’idée est simple en apparence, mais démoniaque dans son exécution : présenter la carrosserie entièrement en fibre de carbone nue, protégée uniquement par une couche de vernis brillant. Là où les autres constructeurs cachent les imperfections du tissage sous la peinture, Ford a dû atteindre un niveau de perfection obsessionnel. Chaque panneau de carbone doit avoir un tissage parfaitement aligné avec son voisin, créant une continuité visuelle sur toute la carrosserie. Ce processus, quasi artisanal, prend des centaines d’heures de travail supplémentaires et justifie un supplément de 250 000 dollars par rapport au modèle de base, déjà tarifé autour de 500 000 dollars. Le résultat est hypnotique, une œuvre d’art qui met en valeur la fonction aérodynamique de chaque courbe, de chaque prise d’air.
Un V6 qui Fait Taire les Sceptiques
Au cœur de ce châssis en carbone se niche la plus grande controverse de la voiture : un V6. Sacrilège ! hurlaient les puristes, nostalgiques du V8 de l’ancienne GT. Mais c’était ignorer la raison d’être de la voiture. Le choix du V6 EcoBoost bi-turbo de 3,5 litres n’était pas une décision marketing, mais une contrainte d’ingénieur dictée par la course et l’aérodynamisme. Un moteur plus compact permettait de dessiner une carrosserie en forme de goutte d’eau (« teardrop ») et de sculpter les incroyables tunnels aérodynamiques entre les roues arrière et la cellule centrale. Ces « flying buttresses » sont la signature visuelle de la GT et sa plus grande force, générant un appui monstrueux. Avec ses 660 chevaux, ce V6, directement dérivé de la compétition, catapulte la GT avec une brutalité et une bande-son rauque et unique qui, finalement, ont fait taire les critiques et prouvé que la noblesse d’un moteur ne se mesure pas à son nombre de cylindres.
Le Ticket d’Entrée le Plus Exclusif du Monde Automobile ?
Ford n’a pas seulement construit une voiture, ils ont créé un club. Pour avoir le droit de signer un chèque de plus de 500 000 dollars, il fallait passer par un processus de sélection digne d’une agence de renseignement. Les candidats devaient soumettre une application détaillée, justifiant leur loyauté à la marque Ford, leur présence sur les réseaux sociaux et, surtout, leur intention de conduire la voiture, pas de la laisser pourrir dans un garage climatisé. Une clause interdisait même la revente pendant 24 mois pour décourager les spéculateurs. Cette stratégie a rendu la GT encore plus désirable, la transformant en un véritable « graal » automobile, un symbole de statut bien plus puissant que des rivales parfois plus chères mais moins exclusives.
Un Héritage Assuré, Un Avenir en Or Massif
Aujourd’hui, la production de la Ford GT est terminée, mais sa légende ne fait que commencer. Le projet Phoenix a rempli sa mission en remportant sa catégorie aux 24 Heures du Mans en 2016, un demi-siècle jour pour jour après le triplé historique. Les rares modèles Liquid Carbon, eux, s’arrachent désormais aux enchères pour des sommes folles. En janvier 2025, un exemplaire ayant appartenu à DJ Marshmello a été adjugé pour 1,76 million de dollars. Cette voiture, née d’un acte de désobéissance et d’une passion irrépressible, est devenue l’un des investissements les plus sûrs et les plus spectaculaires de la planète automobile. C’est l’ultime paradoxe de ce chef-d’œuvre : la machine que Ford a failli ne jamais construire est sans doute l’une des plus grandes réussites de toute son histoire.